18 Février 2011
Zohra avait tenu à grouper la visite du quartier Ben Youssef (c'est moi qui ai baptisé cet ensemble de monuments ainsi car ils sont autour de la mosquée éponyme), des jardins de la Koutoubia et du musée Dar SI Saïd et de les garder pour vendredi. Nous y voici.
Après un passage un peu difficile à l'agence de voyages Travels on Line à qui nous n'avons pas acheté le produit qui nous été proposé, et où je n'ai finalement pas réussi à payer nos excursions par carte bancaire (il vaut mieux se munir d'euros pour les voyages au Maroc car s'il est facile de retirer des dirhams dans des distributeurs automatiques, il est encore plus facile de payer en euros à un cours très intéressant de 1€ pour 10 dirhams alors qu'il est presque de 10 % inférieur à la banque !) nous étions prêts pour le marathon du jour !
Bien sûr nous sommes partis de notre quartier du palais Dar El Bacha par les passages que nous commençons à connaître jusqu'au nord des souks pour atteindre la medersa Ben Youssef, "un des joyaux de l'art arabo-andalou".
Il semblerait que des découvertes récentes contredisent la prétendue création de l'école coranique au 14ème siècle par le sultan mérinide Abou el-Hassan, et l'attribueraient au Sâadien Moulay Abdallah, au 16ème siècle. Elle porte le nom de la mosquée voisine érigée sous le règne d'Ali ben Youssef, sultan almoravide du début du 12ème siècle, si "restaurée" aux 16ème et 19ème siècles qu'il ne reste rien du bâtiment d'origine ...
Mais revenons à la medersa. Dès la porte, puis le vestibule franchi, sous la coupole de cèdre on perçoit le caractère somptueux qui a été donné à la prestigieuse école coranique de la capitale impériale.
Au centre de la cour de marbre le grand bassin permettait aux neuf cents élèves de procéder à leurs ablutions avant de pénétrer dans la salle de prières aux parois richement revêtues de stucs sculptés, fleurs et arabesques,versets du Coran dans le mihrab, la niche qui indique la direction de la Mecque.La cour de marbre de Carrare avec le bassin carrelé de zelliges est bordée d'une galerie décorée dezelliges, stucs et bois de cèdre ciselé qui supporte une partie des cent trente deux chambres réservées aux étudiants pensionnaires. Enfin je devrais dire ceux qui passaient leur vie ici car le brasero, le soufflet, le tajine et le service à thé font partie de l'équipement des chambres, au même titre que les calames, les encriers, les bougies, le manuscrit , la cruche d'eau et la natte pour dormir. Il semblerait qu'ils étaient très autonomes, et devaient pourvoir eux-mêmes à leurs besoins terrestres. Les chambres sont groupées par quatre autour d'une petite cour intérieure, puits de lumière, où le cèdre des corniches et des charpentes est richement ciselé. La fenêtre de chaque chambre pouvait donner sur la rue ou sur la cour, s'ouvrant ainsi sur une vue plus ou moins somptueuse !J'ai lu que les élèves qui n'avaient pas obtenu les résultats souhaités devaient quitter la medersa au bout de dix ans ... Si c'est bien ça, ils avaient le droit à l'erreur et au repentir avant de se voir virés !
Nous, il ne nous reste plus que quelques minutes avant de devoir revenir sur la place ben Youssef et d'entrer dans le musée de Marrakech.
Le palais Dar Menebhi n'est pas un palais pour princesses des Mille et une Nuits comme je l'avais cru au début de notre séjour. Car si ces dames appartiennent aux plus anciens contes du bassin méditerranéen, cet endroit, comme le palais de la Bahia que nous avons visité dimanche n'a été construit qu'au 19ème siècle, encore pour un vizir (ministre de guerre) du même sultan. (Dommage que les palais royaux ne se visitent pas !)
Le palais est organisé autour de son patio, aujourd'hui couvert d'une grande veranda,autour duquel s'ouvrent quatre grandes salles richement décorées. Y sont présentées les collections permanentes du musée : vêtements, ici caftan du 18ème siècle brodé d'or, une collection de poignards, des bijoux,et beaucoup de céramiques en provenance de Fez. La poterie est une ancienne et importante activité de cette capitale qui au haut Moyen Âge était produite dans 180 ateliers.soupières, cruches, pichets,plats de fête, creux pour les mets à base de pates fraîches ou de couscous, plats pour les méchouis ou les poulets entiers ; et cette belle jarre du début du 19ème siècle.
Un temps de repos dans un fauteuil moelleux, à côté de la vitrine relative au thé, à la menthe bien sûr, sous un petit écrit :"Au Maroc on s'assoit pour prendre le thé, on s'enfonce dans des divans bas. Cela veut dire qu'on n'est pas prêt de se relever. Plaisir et volupté. Le temps du thé était un temps de recueillement, de méditation. Je me déshabillais pour prendre le thé. Ou plus exactement, je me déshabillais, je mettais un vêtement ample dégageant le corps de toute entrave" Texte anonyme. Mais qui me fait mieux comprendre pourquoi Zohra ne veut pas en prendre n'importe où : les bonnes conditions ne sont pas réunies partout et tout le temps !
Voici venu le temps de dire comment Kheltoun nous prépare le thé du matin. Elle met une bonne pincée de thé vert chinois dans la théière, y verse quelques gouttes d'eau bouillante, donne quelques mouvements de rotation avant de jeter l'eau. Recommence. C'est pour "laver" le thé. Elle met alors deux énormes morceaux de sucre dans la théière, un bouquet de menthe fraîche et l'eau très chaude. Elle laisse infuser un peu. Puis mélange le sucre en versant un peu de thé dans un verre qu'elle remet dans la théière, recommence trois fois, ça mélange le liquide. Un matin Camille rajouta un peu de sucre en poudre dans son verre de thé qu'il mélangea avec sa cuillère : gros yeux de Kheltoun avec un hochement de tête très désapprobateur ... Donc on ne met pas sa cuillère métallique dans le thé, que l'on a d'abord versé dans son verre en levant bien haut la théïère pour que de la mousse se forme à la surface !
Le palais comprend, outre le patio et les grandes salles autour, un hamman qui est occupé en ce moment par les femmes languides de Rachid Arejdal, artiste plasticien marocain qui enseigne à Marrakech.Les cuisines sont la quatrième partie du palais, réservée à des expositions temporaires. Ce sont des toiles non figuratives d'Yvan Gervasi, artiste français qui en occupent les cimaises, et Zohra le centre du bassin !Je n'oublie pas les zelliges, les stucs et les plafonds de cèdre, et n'en suis pas encore lassée, mais je crains qu'on ne finisse par les confondre !
Alors pour changer d'ambiance voici la Koubba Ba'Adiyn avant de quitter le quartier. C'est le plus ancien témoignage et le seul de l'époque almoravide de Marrakech (1106). Il s'agit de l'ancien bassin d'ablutions de la mosquée Ben Youssef que l'on exhuma en 1948 sous plusieurs bassins indiquant la progression des niveaux de la place.Rectangulaire à l'extérieur et au sol il devient carré pour se terminer par un dôme à la décoration florale et géométrique.
Parfaitement maîtrisés, la complexité de la coupole et la diversité des arcatures des ouvertures sont considérés comme un catalogue du savoir faire des artistes musulmans du 12ème siècle.
Dans un quartier lointain, le palais Dar Si Saïd, construit pour le frère de Ba Hmed, est de la même époque que le palais de la Bahia, fin du 19ème siècle. Comme dans les autres palais, et aussi dans les demeures beaucoup plus modestes de grands murs aveugles extérieurs cachent ses trésors et la vie familiale qui doivent rester secrets. Cette vie se déroule autour du jardin,
ou du patio du harem où vivaient huit favorites alors que les quatre épouses semblaient vivre dans une autre partie du palais.De la fenêtre où nous sommes le maître de maison pouvait observer et choisir et appeler sa compagne d'un moment qui pouvait arriver directement dans l'appartement par un escalier conçu pour ça. Elles n'avaient pas eu le privilège de s'asseoir sur le trône des mariéeset pouvaient être répudiées à tout instant.Les salles d'apparat sont bien sûr somptueuses, des sols aux plafonds, en passant par les piliers dont les chapiteaux comportent des stalactites de cèdre.
Il y a beaucoup de choses derrière les vitrines, depuis la baignoire de marbre ramenée d'Andalousie et construite au 3ème siècle de l'Hégire (qui commence le 16 juillet 622 après JC, au moment où le prophète quitta la Mecque pour se réfugier à Médine), aux bijoux des favorites en passant par des collections de tapis, d'articles de cuir, de céramiques, de vêtements, d'instruments de musique, de portes de bois sculpté provenant des maisons du bled, qu'il faudra imaginer car les reflets ne permettent pas de photos satisfaisantes.Celle-ci est spécialement dédiée à Zohra dont le père possédait un beau poignard comme ceux qui sont présentés au fond de la pièce à la belle porte de ville !
Nous sommes repassés par la place Rahba Kedima où les tapis ont de si jolies couleurs d'épices et de fruits. C'est encore bien surprenant de parler devant une boutique où l'on ne voit personne, d'en dire quelques mots et d'entendre en français la réponse dans son dos où le vendeur se confondait parmi les curieux ...
Nous finissons la journée par les jardins de la Koutoubia. Cette mosquée cristallise mes frustrations de non musulmane interdite d'entrée dans les lieux de culte ! Je me rappelle en silence les pays où nous avons pu y entrer, Turquie, Egypte et même Libye ! Je n'ose même pas lire la description qu'en fait le guide Voir, de crainte d'ajouter à cette déception ! Ça suffit, profitons comme les Marrakchis le font les jours de fête des jardins.Des petits palmiers, des grands, des orangers, des bassins vides envahis par les enfants, une roseraie au parfum doux,
les trois boules du minaret, symboles des grands préceptes, foi, prière et jeûne ; mais qui s'en souvient ? Il semble que ce soit comme l'année de naissance du prophète, car Zohra a continué l'enquête autour d'elle : personne ne sait !
Au sommet des minarets il y a autre chose qui m'intrigue, une potence. Est-ce que je vois trop de westerns pour que j'imagine aussitôt un pendu qui se balancerait là-haut ? Mais il paraît que ces potences sont là à des fins techniques, pour accrocher des fils électriques, des éclairages, des sonorisations. Oh ! j'ai vraiment un drôle d'esprit !
La mosquée de la Koutoubia a été construite pour célébrer la victoire des Almohades sur les Almoravides en 1147. Elle avait été réalisée un peu rapidement et le mur de la qiba avait été mal orienté. Le souverain exigea qu'elle soit rasée et reconstruite. Et voici les fondations de la première construction. Ça, on peut voir !Le marabout d'un des sept Saints de la ville est un de nos repères. En traversant l'avenue Mohamed V nous arriverons dans notre quartier.et arriverons au riad fourbus et les pieds douloureux. Nous allon savourer d'abord un temps de repos puis le couscous traditionnel du vendredi qui réunira tout le monde :de gauche à droite : Camille, Zohra notre accompagnatrice toujours souriante, Nahouel la directrice du riad, moi et Kheltoun.
Nous avons mangé comme nous le souhaitions, ou comme nous le pouvions. Camille dans une assiette, avec une cuillère ; Nahouel et Zohra avec une cuillère, dans le plat ; Kheltoun avec les doigts. J'ai essayé, et ce n'est pas facile, car il faut arriver à rouler une boulette qui tienne (de semoule dont les grains sont bien détachés) sans en mettre sur ses genoux ou sur le tapis, et qu'il n'en reste pas plein les doigts. Aussi après quelques tentatives j'ai aussi pris une cuillère et j'ai pu me concentrer sur ma dégustation !Fouad est arrivé au moment du déssert et il a beaucoup apprécié son gâteau. Comment dit-on religieuse en arabe ?