Sous un beau ciel bleu nous avons pris la route au nord ce matin, vers la Géorgie. Qui n'est pas à notre programme, donc nous nous arrêterons bien avant. Une première fois pour pouvoir choisir quelques pierres d'obsidienne, nombreuses sur le bord de la route lorsqu'elle traverse des collines volcaniques.
C'est surprenant de voir le grand nombre de maisons inachevées, abandonnées tout au long du trajet. Il semble leur manquer les huisseries, mais aussi les habitants aux villages ... Exode vers les villes ? vers l'Occident ? poussés par les guerres ? par la chute de l'empire soviétique ? Pour une fois Sona a semblé éluder nos questions par un simple mot "exode".
Nous avons atteint la côte du lac Sevan, "perle bleue" de l'Arménie. Situé à 1900 mètres d'altitude c'est l'un des plus grands lacs d'altitude du monde (2 fois le lac Léman).
Ce réservoir naturel d'eau a été abondamment utilisé à l'époque soviétique pour l'irrigation et la production d'énergie hydro-électrique. Les ponctions étaient tellement importantes que son niveau a baissé d'une vingtaine de mètres, provoquant une catastrophe écologique. Vers 1970 il a été décidé de protéger et rationaliser l'utilisation des eaux. Un tunnel a été construit pour augmenter les flux. Fini en 1981 il a été détruit un an plus tard par un tremblement de terre. Depuis l'indépendance il a été reconstruit et fonctionne normalement. Cependant pas sans conséquences sur la situation hydraulique des régions qui sont ainsi privées d'eau ...
La population originelle de poissons a diminué, certaines espèces ont même disparu. On trouve encore des truites proches de l'omble-chevalier. La pèche est strictement réglementée, et il y a des tentatives d'aquaculture. Restent sur le bord de la route des cabanes bleues qui furent (qui sont encore ?) les stands de vente de poissons. Certains marchands se plantaient simplement sur le bord de la route, et les deux index largement écartés au dessus de la tête indiquaient ainsi qu'ils vendaient des poissons.
Des écrevisses ont été amenées dans les parties riches en plantes diverses où elles se sont particulièrement plu et elles seraient maintenant abondantes.
Les oiseaux sont nombreux à vivre sur les rives : cygnes sauvages, tadornes de Belon, canard colvert, macreuses brunes, foulques macroules et goélands d'Arménie dont nous apercevons quelques uns.
Pas le temps de voir les amphibiens, ni les serpents. Et tant mieux !
Par contre nombreux sont les buissons dont les branches portent de très nombreuses petites baies orange. Ce sont des argousiers. Les fruits sont en vente le long de la route, en l'état ou en jus. Denise et Dino m'en ont fait goûter, oh ! c'est vraiment astringent !
Sur les rives les résidences d'été, parfois simples cabanes, sont maintenant fermées. Leur nombre nous fait penser que les estivants doivent venir nombreux profiter du lac aux beaux jours.
Nous sommes arrivés à Noradouze, village de 1500 habitants, célèbre pour son cimetière ... On y compte pas moins de 800 khatchkars dont les plus anciens auraient été sculptés au 9ème siècle !
Le nombre surprend dès que l'on aperçoit le cimetière. Il nous faut d'abord aller aux toilettes,en passant entre les éventaires des marchandes de lainages. Le soleil brille et nous réchauffe, mais nous ne pouvons que craquer devant tous ces bonnets, chaussettes, châles, pulls qui nous sont proposés avec des grands sourires. Les tractations prennent un peu de temps, mais nous voici enfin prêts à aller voir ces pierres debout !
Je suis d'accord avec Dino, toutes ces stèles font penser à un site mégalithique. il y a encore plus de pierres à terre, sûrement des tombes, certaines seulement grosses, d'autres taillées en forme de coffre et sculptées.
Sona nous emmène jusqu'à un ensemble remarquable.
Il y a tant à voir que nous nous sommes dispersés avant qu'elle commence son à nous parler des khatchkars !
Ce cimetière est le plus riche d'Arménie après qu'un autre, plus à l'est ait subi des destructions systématiques lors du conflit avec l’Azerbaïdjan. N'a-t'il pas été attaqué ou a-t'il été protégé comme au 14ème siècle lors de l'attaque de Tamerlan mis en fuite par la transformation des stèles en soldats grâce à des casques et des épées ?
Les khatchkars font partie du patrimoine culturel arménien. Les premiers ont été élevés dès le début de l'ère chrétienne. L'apogée a été atteinte au Moyen-Âge. Il semble qu'on puisse fixer leur origine aux "pierres du dragon" allongées, symboles du culte de l'eau des 8ème et 7ème siècles avant notre ère.
La plupart porte la croix arménienne, dont la sculpture est parfaitement codées. Toujours en 3 parties, la plus basse représente la terre, en haut le ciel et au milieu la croix dont les proportions sont rigoureusement définies. Du moins pour les plus belles. Souvent Jésus a les traits du visage très mongols. On trouve Jésus crucifié sur la tombe d'Adam qu'il tire par le bras, lui-même tirant Eve pour les sortir des limbes.
Mais certaines pierres sont d'un dessin très naïf, faites par de jeunes élèves ?
Des artisanes vendent leurs tricots dans le cimetière et nous cramponnent avec une insistance gênante. Nous aimerions bien faire comme nous le dit Sona, leur dire non avec le sourire, mais ça devient difficile ...
Et il y a les pierres tombales qui ne doivent pas obéir à des canons rigides. Elles représentent des scènes de la vie quotidienne ou des évènements importants de la vie de la personne à qui la famille rend hommage.
Pierre du cavalier ; des deux sœurs avec diadème et belle robe ; au four et pain d'accueil ; du laboureur ; et celle qui représente une tragédie. L'aïeule voit arriver un inconnu et l'accueille dans la famille ; elle lui offre à manger, mais lorsqu'il voit un jeune couple il convoite la mariée et cherche querelle. Il tue les mariés ... Mais en général les représentations sont positives !
Se trouvent aussi dans ce cimetière deux chapelles du 13ème siècle, pas très bien conservées.
Et c'est fini ! Il faut partir pour le déjeuner de poisson au bord du lac. Décor très rustique.
Le repas est comme d'habitude avec beaucoup de hors-d’œuvre, d'herbes et de fromages sur la table. Le poisson et les pommes de terre grillés seront servis plus tard. Festin : nous avons des baklavas en dessert, et du café turc, pardon, arménien, pour finir. Nous avons essayer de nous faire lire l'avenir, mais arriver à obtenir un marc correct semble encore plus difficile que préparer le café !
Arrêt au complexe monastique de Sévanavank au sommet d'une péninsule qui fut une île, il n'y a pas si longtemps. Il ne reste que deux églises depuis les destructions par les soviets en 1930. L'église de la Saint Mère de Dieu a une belle porte en noyer sculptée et
L'église de la Saint Mère de Dieu a une belle porte en noyer sculptée et
Et un exceptionnel khatchkar très naïf.
En bas Jésus sort des limbes Adam, qui en sort Eve. Et à droite une nativité étrange. La vierge portant son nouveau-né n'a pas l'air très féminin ; quant à l'âne et au boeuf, ils devisent tranquillement assis !
Changement d'époque avec la maison des écrivains Art Déco en assez mauvais état. Les auteurs qui ont eu l'avantage de plaire au parti venaient s'y reposer.
En partant Sona nous a raconté la légende de la princesse aimée d'un garçon de l'autre rive. Il la rejoignait tous les soirs guidé par le feu qu'elle allumait sur la rive. Un soir les jaloux l'ont éteint et le garçon s'est noyé. Une statue de la princesse a été érigée et depuis elle continue à faire signe à son amoureux. Arrêt pour la photo ! Merci Sona et Karel !
