Depuis Jaca il faut monter pendant des kilomètres dans le massif de la Peña (je viens enfin de trouver comment écrire les caractères espagnols !) pour atteindre le monastère San Juan.
D'abord le nouveau, celui du 17ème siècle superbement baroque. Mais celui que nous avons vu sur tant de documents depuis dix jours n'avait rien de baroque. Alors nous continuons par la route étroite qui descend la falaise au dessus de la plaine. Bizarre, très bizarre !
Le voici, mais il est strictement interdit de stationner ici, c'est beaucoup trop étroit. Il y a juste un espace où les bus peuvent laisser leurs passagers. Etrange. Camille me laisse et remonte se garer au nouveau monastère.
La billeterie ici ne fonctionne que pour les groupes, pour les autres c'est aussi au nouveau monastère qu'il faut s'adresser, et il y a une navette entre les deux espaces. Donc je vais retrouver Camille à pied, par le sentier forestier.
En herborisant, bien sûr. Comment pourrai-je laisser cette jonquille et cette hépatique toutes les deux blanches sans les regarder de près ?
Camille savait tout sur les modalités de visite lorsque je l'ai rejoint. En avril les navettes ne sont pas nombreuses et nous avons le temps de visiter le nouveau monastère avant de descendre.
Endroit plein de contrastes, devant la façade baroque une sculpture très moderne et le bras articulé d'une nacelle pour les travaux de nettoyage des décors plateresques.
L'ensemble de San Juan de la Peña est un musée. L'ancien monastère a été très endommagé par un terrible incendie en 1675. Il fut choisi d'en construire un nouveau qui fut abandonné en 1835. Depuis les réhabilitations deux "centres d'interprétation" et un hôtel 4 étoiles occupent le monastère baroque.
Au "Centre d'interprétation du Royaume d'Aragon" nous découvrons un peu de l'histoire de cette partie de l'Espagne. Seulement un peu car les tableaux et les vidéos sont en espagnol ...
L'empereur Charlemagne et son neveu Roland essayèrent en 778 de repousser les troupes musulmanes. Ils installèrent un camp militaire sur le versant méridional des Pyrénées centrales, dans la vallée d'Echo. Cette base est devenue le noyau du Comté d'Aragon qui s'est agrandi petit à petit. Dans ce nouveau comté il fut possible de fonder quelques monastères tels que San Pedro de Siresa (visite prévue sous peu), Santa Maria de Fuenfria et San Juan de la Péña royalement dotés par les souverains successifs.
Les rois accordèrent au monastère de San Juan de la Peña de nombreux privilèges et entretinrent des relations si étroites qu'il devint panthéon royal pendant cinq siècles.
Le Centre d'interprétation du monastère nous en montre la vie quotidienne.
Une galerie au sol vitré au dessus des fondations des bâtiments anciens permet de voir les activités des moines , mannequins à l'échelle 1 : le réfectoire, les ateliers de menuiserie, la forge, les écuries, la boulangerie, l'herboristerie et même l'infirmerie où officie l'arracheur de dents.
Mais c'est presque l'heure de la navette.
Elle nous conduit à l'ancien monastère. Celui qui était caché au coeur d'une grotte au fond de laquelle coulait une source. Entouré d'une végétation épaisse et relativement bien éclairé cet endroit magique était depuis longtemps un lieu de culte païen en l'honneur de Mère Nature.
Il devint ermitage à la christianisation, puis monastère au 8ème siècle. C'est à cette époque que fut bâtie la première église en partie souterraine de style mozarabe.
Fuyant les campagnes de conquête arabes, des moines s'enfuirent à Cluny et revinrent au 11ème siècle en apportant la réforme clunisienne.Et de l'architecture romane ? (question personnelle)
C'est à cette époque que fut construite l'église haute sous le règne du roi Sanche Ramirez, alors que la cathédrale était constuite à Jaca. La voute de la nef est partiellement constituée par le rocher, les trois absides sont engagées sous le roc.A côté voici la partie la plus ancienne du panthéon royal avec des tombes de rois et de princes d'Aragon sculptées de chrismes, de croix fleuries, de anges portant une mandorle. Et chacune surmontée d'un arc décoré de damiers de Jaca !
Dans un coin la partie baroque de ce panthéon est assez surprenante, surréaliste : lapis-lazuli, marbes et ors ...
Voici enfin le cloître si surprenant : il est ouvert au nord sur la plaine et au loin les Pyrénées, mais est couvert par le rocher.
Tout en face une chapelle plateresque, à l'opposé sous le rocher une chapelle Renaissance.
Mais c'est le cloître qui retient toute mon attention.Deux des quatre galeries sont relativement bien conservées ou restaurées. Si certaines colonnes sont neuves les chapiteaux sont tous originaux. Certains guides (livres, on nous a demandé à l'entrée de quel pays nous venions, on nous a remis une notice en français en nous faisant comprendre qu'il nous fallait nous débrouiller ainsi pour la visite) disent que l'on reconnaît la facture de deux ateliers dans leur sculpture. Nous n'avons pas bien vu les nuances. Ils représentent des scènes bibliques depuis la Génèse jusqu'au jugement de Jésus.Voici les plus beaux parmi les dix huit qui restent.
Adam et Eve punis sont obligés de travailler : la charrue pour Adam et le fuseau pour Eve ;
Jésus transforme l'eau en vin aux noces de Cana ;
Jésus pardonne à la femme adultère ;
sur le premier plan Jésus entre triomphalement à Jérusalem, derrière c'est la Cène qui est représentée.
Sur cette galerie on aperçoit l'ange qui rend visite à Joseph pendant son sommeil ; sur le chapiteau à droite s'agit-il du massacre des innocents ou de la mort d'Abel par Caïn : les experts sont partagés.
Sur les arcs restaurés les "damiers de Jaca" qui sont bien les billettes françaises.
Certains pensent que le berceau de l'art roman est ici ... D'autres que c'est la cathédrale de Jaca. Ils furent construits en même temps, tous les deux à la demande du roi, et la distance qui les sépare, une vingtaine de kilomètres n'était pas un obstacle aux 11ème et 12ème siècles. J'imagine que ce sont les mêmes maîtres artisans qui ont dirigé simultanément leur construction puis leur décoration. Mais je m'avance beaucoup. Qu'il serait intéressant de pouvoir consulter un médiéviste !